Leaks media, un point de vue salutaire de l’autre côté de l’information
Lana a fondé Leaks Media et nous propose une autre manière d’accéder à l’information, avec une rigueur plus qu’admirable dans le monde mouvant qu’est Internet.
Lana Careja est une femme de 29 ans, franco-brésilienne, et passionnée de l’accès à l’information brute. Titulaire d’un doctorat en sémiologie, elle a fréquenté un temps les bancs d’agences de communication aussi reconnues que contestées comme Publicis, avant de se diriger vers sa propre voie.
Aujourd’hui, elle est reconnue pour son travail en indépendante sur les réseaux sociaux via la création dès 2018 de son “canal d’informations” Leaks Media. Sur cet espace qu’elle gère solo d’une main de maître, elle s’attaque avec minutie au dessous des marques et des différents influenceurs qui émergent un peu partout sur la toile.
Ce projet fait suite à son envie prédominante d’être un pont entre différentes sources et différents publics. Son positionnement est assez rare puisque si elle continue de s’informer via les réseaux sociaux et les personnalités publiques, Lana n’oublie jamais de croiser ses sources : “ Moi je me positionne entre les journalistes qui font un travail critique, entre les influenceurs et entre les scientifiques qui font un travail ayant du mal à se vulgariser”.
Cet objet virtuel non identifié est présent sur un grand nombre de réseaux sociaux, où elle y est suivie par près de 19 700 personnes sur Instagram et 68 500 personnes sur Tiktok. Il répond à un besoin de clarté et d’exigence de la part d’un grand nombre d’internautes notamment pour arriver à décrypter les nombreux discours bien ficelés des influenceurs.
Le compte Instagram de Leaks Media.
Son lancement en solo dans sa recherche de traitement différencié de l’information date de 2016 comme elle le raconte. Il survient après sa constatation que certains sujets passaient trop souvent à la trappe pour les agences. En 2016, l’Amérique élisait Trump pour la première fois et le sujet de Tiktok qui interpellait Lana ne passionnait pas les agences ni même les marques : grosse erreur de jugement que l’on constate avec force neuf ans plus tard.
Ce qui m’intéresse particulièrement dans le travail de Lana demeure la particularité de son statut : elle n’est pas journaliste, ne se revendique pas comme telle et les médias classiques ne sont pas sa source privilégiée d’informations. Mais elle a bien conscience que le statut de journaliste reste une nécessité à valider pour faire reconnaître son activité : “Je fais les démarches pour obtenir la carte de presse même si c’est compliqué”.
Les profils comme le sien répondent à des tendances majeures de la génération Z qui tente de trouver des réponses parmi un “flou informationnel” rare et un mélange des genres de plus en plus difficile à contrer. Quand on repense à la place octroyée aux influenceurs sur les festivals et pour assurer la promotion de grands films, on ne sait plus forcément qui fait quoi.
Ou plutôt comme le résume succinctement Lana : “ll y a beaucoup de concurrence dans ce milieu et c’est pour ça qu’il y a parfois des embrouilles sur le gagne-pain des gens. Par exemple comment différencier précisément les journalistes qui vont sur les réseaux sociaux et les influenceurs qui bossent avec des médias”.
Iban Raïs nous donne rendez-vous à “Minuit au musée”
Ma première rencontre : Iban Raïs pour parler de son nouveau format “Minuit au musée”.
Iban Raïs : créateur du format.
Laura Felpin, dernière invitée du format.
Iban Raïs est un couteau-suisse du journalisme français moderne : presse écrite, télévision, enquêtes au long formats et livres, en près de dix ans de carrière on a pu le lire et l’entendre sur de nombreux supports. Pendant une heure d’entretien nous avons pu échanger ensemble sur sa carrière, l’évolution du métier tel qu’il l’a connu ou encore le lancement de son dernier projet “Minuit au musée” dont le dernier épisode vient de sortir.
La profession de journaliste lui est familière depuis sa plus tendre enfance puisque sa mère elle-même était journaliste au bureau parisien du New York Times. Comme il le confie “Ce n’est pas elle qui m’a dirigé vers ce métier mais j’ai toujours eu un rapport particulier avec l’information et les journalistes” ce qui l’a ensuite poussé vers les bancs du CFJ à Paris.
Lorsqu’il raconte les bases de son métier, Iban revient sur la manière dont le journalisme irrigue son quotidien depuis qu’il en a fait sa passion : “Le journalisme m’anime vraiment : tous les matins je me fais ma revue de presse et j’écoute de tout même les choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord. J’ai vraiment ma petite routine de vieux”. Un rituel que nous sommes nombreux et nombreuses à suivre mais qui peut tendre parfois à nous renfermer dans des schémas de pensées et automatismes bien particuliers. Comme le journaliste le résume : “il ne faut pas rester dans une espèce de bulle cognitive. Il faut savoir aussi sortir de sa petite routine de temps en temps”.
Désormais âgé de 35 ans, le déjà jeune - vieux journaliste a donc pu acquérir un certain nombre d’expériences sur ce métier souvent idéalisé ou au contraire très souvent critiqué. Reconnu au sein de nombreux médias prestigieux comme GQ, Médiapart ou Arte, il reconnaît avoir un regard différent sur le métier : “Ma vision est plus sévère, je vois qui bosse bien et qui bosse mal et les puissances derrière, comment l’actualité est par exemple poussée par Vincent Bolloré ”. Mais sa vision est aussi différente sur les pratiques journalistiques en elles-mêmes : être journaliste aujourd’hui et hier ne signifie plus la même chose.
Comme il me l’explique, “Tu ne peux plus être journaliste que sur un seul canal parce que sinon tu n’as pas de taf” ce qui concrètement veut dire que le journalisme moderne nécessite de savoir avant tout s’adapter à un grand nombre de situations variées ; “c’est très précaire et il faut savoir à la fois faire de la vidéo, interviewer, écrire qui reste la base et être polyvalent”. Cette profession demande de savoir tout faire et le faire bien pour rester dans la course.
Alors pour se distinguer et quand même trouver du plaisir et de la singularité, une nouvelle voie est de plus en plus empruntée : créer son propre projet et/ou média : ce fût le cas pour Minuit au musée dont l’idée a germé il y a un an. Cette idée a émergé après un concept d’interview proposé au média Views où il rencontrait Malik Bentalha dans un musée et où l’entretien était retranscrit par écrit.
Iban explique aussi avoir constaté une certaine lassitude dans les formats plus traditionnels de promotion chez les personnalités : “ je me suis rendu compte que les talents-acteurs-célébrités en avaient marre du format très court de questions, du format « junket » où ils font 20 médias en une heure”. Comment en effet ne pas constater une explosion des concepts-formats d’interviews rapides et parfois similaires parmi les médias jeunes et moins jeunes ?
Malik Bentalha, 2ème invité du format.
Alors Iban s’est entouré de 3 personnes de son entourage pour concocter Minuit au musée. On retrouve à ses côtés : Melvyn Bonnaffé, directeur artistique puis Samuel Ahovi, directeur de production et enfin Enzo Poly qui est le directeur de la photographie.
Ce format réunit imperceptiblement quatre acteurs centraux dans un même cadre. On retrouve en effet le journaliste, la personnalité invitée mais aussi le musée et enfin la nuit qui permet de cultiver une ambiance intimiste et propice aux confessions.
Ce format vidéo que l’on retrouve sur Youtube et sur Instagram, permet donc aux personnalités de sortir de l’ordinaire et se divertir lors d’un moment promotionnel différent “où les invités vont être mis en valeur par l’image et les questions, où ils vont apprendre des choses et s’amuser”.
Une nouvelle manière d’interviewer davantage à l’américaine, où les personnalités sont actives et interagissent à la fois avec le journaliste mais aussi avec les oeuvres en elles-mêmes. Si pour le moment trois épisodes existent, ils ont eu lieu dans des musées prestigieux comme le Musée des arts décoratifs ou le Quai Branly. Comme l’équipe me le résume : “Les musées sont en demande de ce public, ils étaient super contents : ils ne veulent plus que le musée soit associé au mot chiant”.
Anaïde Rozam, 1ère invitée du format.
Malgré tout, le journaliste n’est pas naïf sur les nouvelles difficultés qui arrivent lorsque l’on décide de créer de contenu en ligne et le développer régulièrement. Il est difficile de parler de création de contenus sans que ne surgisse la question des influenceurs. Iban évoque le sujet en amenant aussi le rôle des marques dans le brouillage des frontières entre influence et journalisme : “les influenceurs et créateurs de contenus prennent la place des journalistes, le résultat n’est forcément pas le même mais c’est d’abord la faute de l’organisation des événements et des marques”.
Ces nouveautés du terrain changent tout y compris l’accès aux personnalités que l’on souhaite interroger, par exemple chez les sportifs : “aujourd’hui les joueurs de foot et stars sont leurs propres médias : donc ils n’ont pas besoin des journalistes “.
toutes les photos sont prises par Enzo Poly.
Créer pour soi et son projet ou pour un média et travailler sur l’information : nous sommes de plus en plus nombreux et nombreuses à vouloir le faire. Alors pour ne pas trop se décourager, je finirai cet article par répéter les conseils qu’Iban a pu me donner tout au long de notre conversation.
Ne vous comparez pas à ce qui existe déjà car tout le monde a de la place pour faire son truc.
Personne ne te reprochera jamais d’avoir essayé de te lancer.
L’idée que tu as l’instant T peut ne se concrétiser que longtemps après, et ça fait partie du jeu.
Il faut se démarquer en travaillant à fond son angle de contenu ou format, c’est ce qui joue le plus.